Chroniques d’une institutrice au temps où c’était le bon temps/Chapitre 1, épisode 4

CHRONIQUES D’UNE INSTITUTRICE AU TEMPS OÙ C’ÉTAIT LE BON TEMPS

CHAPITRE 1 : L’ÉCOLE D’ÉRÈVE

Épisode 4

Tout est enfin prêt pour la rentrée. Il ne reste qu’un seul problème à résoudre, et pas des moindres : la question de la barrière, momentanément occultée par le désagrément muridesque. L’école est située en bord de route, trois petits mètres séparent la porte d’entrée du trottoir. Dire que c’est hyper dangereux est un doux euphémisme. Ma nature opiniâtre m’invite à remonter voir madame Revenchart pour obtenir en urgence un rendez-vous avec le maire, puisque Louis ne peut évidemment pas entreprendre de tels travaux de son propre chef – et sur ses propres deniers.

#lesgardiensdelagalaxieoupresque

Accueil en mode plus glacial tu meurs, je m’y attendais. En revanche, je ne soupçonnais pas qu’il me serait impossible de rencontrer le maire de sitôt. Celui-ci, ayant écrasé deux mois auparavant son fils sous son tracteur, n’est certainement pas disposé à recevoir mes doléances au sujet de cette barrière. De plus, puisque ça a toujours été comme ça, pourquoi devrait-on changer ?

Compassion immense pour le maire et son épouse. Pour sa belle-fille et ses jumeaux tous deux inscrits dans ma classe en grande section, également. Je reste sans voix, et n’ai d’autre choix que de reporter mes réclamations, autrement dit de me la coincer.

#jesappellegrout

Il pleut. C’est la rentrée. J’accueille ma petite troupe et j’invite les parents d’élèves, serrés comme des sardines en boîte dans l’entrée, à visiter la classe aménagée à ma façon. Catherine a préparé du café, une idée brillante qui réchauffe les corps et les cœurs. Tandis que les enfants se ruent sur les Lego, les Kapla et les puzzles, pendant le traditionnel moment d’accueil en maternelle, les parents lancent des regards curieux – dubitatifs, en fait – sur les étagères et sur ma personne. Je comprends : qui confierait son petit les yeux fermés à une parfaite inconnue – peut-être même une Parisienne, de surcroît, qui sait ? Armée de mon plus beau sourire, du regard le plus doux de ma collection, je me présente – sous mon meilleur jour. J’explique aussi en quelques mots qu’il sera question de Montessori, mais promets d’en dire plus lors de la réunion de rentrée, avant d’inviter tout ce beau monde à regagner ses pénates afin que la journée de classe puisse commencer.

#quoimagueulequestcequelleamagueule

Ma première impression est mitigée : je n’ai décelé ni enthousiasme ni défiance chez les parents ; ils ont en tout cas quitté les lieux en me saluant aimablement. Quant aux enfants, ils semblent très à l’aise, aucune larme à l’horizon de cette rentrée des classes. C’est une école de village, tous se connaissent déjà. Tous « sont d’ici ». Mais pas moi, et cette réalité me saute au visage d’un seul coup. Prochaine mission : passer du statut d’étrangère à celui de personne de confiance.

#parisientêtedechien

Je remarque que l’un des deux seuls enfants inscrits en moyenne section reste prostré, mais sa compagne – la sœur de l’élève inopinément promu en CM1 au cours de l’été – l’entraîne avec enthousiasme vers les jeux. Elle semble ne même pas s’apercevoir qu’il demeure muet comme une carpe face à son bavardage incessant, et continue de l’abreuver de son discours, se chargeant des questions et des réponses tout en lui expliquant les règles du jeu qu’elle vient d’inventer. Le malheureux ! Emplie de bienveillance, je me précipite à son secours et tente de lui donner la parole : peine perdue, il s’obstine dans son mutisme. Au bout d’un moment, perplexe, je le laisse à cette petite fille qui, nullement découragée, est à présent passée du monologue au maternage : une assistante hors pair.

#parolesparolesparoles

Lorsque les enfants n’en sont pas coutumiers, une classe Montessori, les deux premières semaines, s’apparente visuellement à un jeu de Mikado qu’on vient juste de balancer sur le plancher, tandis que sur le plan auditif on est assez proche des Tambours du Bronx se produisant en plein cœur d’un marché aux poissons. Quand les élèves comprennent qu’ils peuvent – qu’ils doivent, en réalité – choisir ce qu’ils veulent faire, ils sont déroutés. Certains restent les bras ballants, persistant à attendre de moi que je leur « donne du travail ». Je ne bouge pas d’un pouce. D’autres se ruent sur le matériel, changeant d’activité toutes les deux minutes – et laissent perles et morceaux de bois en tout genre éparpillés sur les tables. D’autres encore se frottent les mains en pensant profiter de la bonne aubaine : tiens, puisque j’ai le choix, je ne vais pas travailler du tout, à moi la liberté ! Ces derniers sont en réalité les plus rapides à comprendre le fonctionnement de la classe. Car très vite ils s’ennuient.

#lâcherprise

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