Chroniques d’une institutrice au temps où c’était le bon temps/Chapitre 1, épisode 6

CHRONIQUES D’UNE INSTITUTRICE AU TEMPS OÙ C’ÉTAIT LE BON TEMPS

CHAPITRE 1 : L’ÉCOLE D’ÉRÈVE

Épisode 6

Noël approche à grands pas, avec ses gelées matinales, ses papillotes, ses guirlandes et ses promesses de cadeaux – parfois altérées par des conditions financières restrictives ou des avenants soumettant les intéressés à une attitude irréprochable, ou au moins en voie d’amélioration, le père Noël étant tatillon sur la question.

Je dois ici dévoiler une de mes particularités : je n’aime pas le père Noël. Je trouve son costume navrant et son attitude grotesque autant que suffisante, sans parler de cette barbe ridicule. Pendant que je suis dans les confidences, en voici une autre : ma nature empathique est néanmoins teintée d’une tendance à l’entêtement.

#schtroumphgrognon

Depuis des semaines, en classe, j’évite le sujet du gros bonhomme en rouge. Exit les chansons vantant les mérites des lutins – esclaves – supposés fabriquer les jouets. Loin de mes oreilles les refrains sur les courageux rennes qui tirent le traîneau dans le ciel. Hors de ma vue les paquets de coton hydrophile et de papier rouge dévolus à la fabrication de pères Noël en carton. Et que l’on ne me parle pas de rédiger avec les enfants une lettre sirupeuse à destination de je ne sais où d’ailleurs. Pendant cette période de l’Avent, nous nous concentrons sur le thème de l’Afrique, avec l’adorable Kirikou et sa sorcière.

#kirikounestpasgrandmaisilestvaillant

C’est pourquoi, lorsque j’apprends de la bouche de Catherine que la « venue du père Noël » à l’école est incontournable – c’est une tradition –, je reste sans voix. Quoi ? Tous ces efforts d’évitement en vain ?

J’ai beau tourner et retourner le problème dans tous les sens, pas moyen d’y couper : il faut bien s’intégrer. Alors, laborieusement, je m’attelle avec Catherine à la tâche qui m’incombe : dénicher un volontaire qui va se déguiser en père Noël. Nous passons en revue tous les pères d’élèves, avec un enthousiasme modéré. Nous évoquons même la possibilité de confier cette responsabilité au collègue-ressource, Pierre. Mais je traîne tellement la patte pour mener à bien ce projet que nous nous retrouvons la veille de la fête de Noël sans candidat intronisé.

#posteàpourvoir

Mais Catherine a plus d’un tour dans son sac. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, elle se dégote un costume de père Noël et, sous mes yeux ébahis, me joue la prestation qu’elle prévoit pour le lendemain – hotte et grosse voix grave incluses. Bon. J’abdique.

Le jour J, nous investissons la salle des fêtes décorée comme il se doit. Les parents d’élèves sont au rendez-vous, les bras chargés de boissons et de gâteaux. Les enfants donnent leur spectacle : ils chantent à tue-tête les refrains africains répétés depuis un mois.

Puis apparaît le fameux père Noël. On ne lui déroule pas le tapis rouge, ça ferait trop… Mais il est tout de même copieusement acclamé. Les enfants les plus audacieux lui offrent un morceau de gâteau en lorgnant sans vergogne le contenu de la hotte, tandis que d’autres, plus timides, se réfugient prudemment derrière les jambes de leurs parents, mais n’en perdent pas une miette. Bon gré mal gré, je reconnais en mon for intérieur que cette petite sauterie fait scintiller les yeux et pétiller l’humeur de tous.

#finalementlepèrenoëlnestpasuneordure

Soudain, une voix bien connue – celle d’un petit futé prénommé Antonin – interrompt les réjouissances de son timbre suraigu, tout en me secouant le bras. La Castafiore peut aller se rhabiller. « Maîtresse, maîtresse, regarde ! » hurle-t-il en écarquillant les yeux.

Tandis que je m’efforce de juguler cette inconvenance, le père Noël enchaîne mine de rien sa distribution de papillotes et de clémentines. Mais Antonin est maintenant au comble de l’excitation, et il insiste, le bougre ! « Maîtresse, maîtresse, regarde ! »

Finalement, une multitude de paires d’yeux convergent vers celui qui ne semble pas intimidé pour deux sous, alors qu’il vient quand même de voler la vedette au bonhomme en rouge, à force de hurler et de gesticuler. Ainsi que cela se produit habituellement lorsqu’un énergumène fait diversion, un murmure secoue l’assemblée, suivi d’un relatif silence qui signifie clairement : alors, que se passe-t-il ?

La suite ne se fait pas attendre… Antonin déclame, sûr de lui : « Le père Noël a les mêmes lunettes que Catherine ! Et aussi les mêmes chaussures ! »

#oups

Après un bref instant de surprise bien légitime devant une telle manifestation de perspicacité, toute la salle part dans un grand éclat de rire, et Catherine, qui transpirait sous sa barbe, il faut bien le dire, se débarrasse d’un geste de son déguisement, sortant ainsi de son étuve en nous montrant son plus beau sourire. Les parents s’empêtrent dans les justifications les plus oiseuses, dont la moins abracadabresque est tout de même que le père Noël étant débordé en ce moment – ce qui se comprend aisément –, il n’a pas pu venir et a délégué sa mission à Catherine. Bref, c’est le moment du goûter, et ça, père Noël intérimaire ou pas, c’est sacré !

#inspecteurgadget

Cet article a 3 commentaires

  1. Pommier

    Trop marrant l histoire du père noël. Je ne connaissais pas cette anecdote. 😂

    1. Il y en a tellement des anecdotes ! Je me demande si je me souviens de toutes… Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’en classe on ne s’ennuie jamais !

  2. Pommier

    Énorme ! Ils sont pas bêtes les gamins ! 😂

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