Chroniques d’une institutrice au temps où c’était le bon temps/Chapitre1, épisode 3

CHRONIQUES D’UNE INSTITUTRICE AU TEMPS OÙ C’ÉTAIT LE BON TEMPS

CHAPITRE1 : L’ÉCOLE D’ÉRÈVE

ÉPISODE 3

Dans les jours qui suivent, je fais d’innombrables voyages jusqu’à l’école, la Clio pleine comme un œuf, pour entasser mon matériel Montessori au milieu de la classe. Voyant cela, l’homme providentiel – Louis – s’empresse de couvrir les murs d’étagères accessibles à des petits d’hommes ne dépassant pas les 1,20 m. Catherine m’aide à y disposer ce matériel cher à mon cœur, que mes enfants, mon mari et moi-même avons passé un mois entier à fabriquer. Elle sourit à l’évocation de notre famille occupée à couper des morceaux de bois, à les poncer puis les peindre amoureusement, à enfiler des milliers de perles de toutes les couleurs sur de minuscules tiges de laiton : tout ce qui constitue le matériel Montessori autrement vendu à prix d’or sur les sites officiels. J’en profite pour expliquer à Catherine les rudiments de cette méthode d’apprentissage, et mon cœur bat la chamade lorsque je m’aperçois qu’elle se montre particulièrement réceptive.

#fourmistravailleuses

Une dernière inquiétude : les parents d’élèves. Non que j’insinue qu’au fin fond du Jura les gens ne sont pas ouverts à des méthodes progressistes, mais je tends tout de même le dos, sait-on jamais. Là encore, une réponse rassurante à mes doutes m’arrive en pleine figure : je remplace un enseignant fort désagréable et peu impliqué, qui a sévi une année quasi entière dans cette école, donc quoi que je propose, ce sera toujours mieux que l’indifférence glaciale mâtinée de traitements expéditifs appliquée par mon prédécesseur.

#onnarrêtepasleprogrès

L’école d’Érève se trouve être en RPI avec celle du village voisin, La Blanchonnière. Je vais donc accueillir des têtes blondes – ou pas – âgées de quatre à sept ans, autrement dit de la moyenne section de maternelle au CE1. Je consulte la liste des chérubins : deux élèves en moyenne section, six en grande section, trois au CP et un au CE1. Un détail m’alarme : l’élève inscrit en CE1 est en âge d’entrer en CM1. Comme le temps où l’on pouvait traîner ses basques à l’école primaire jusqu’à l’hypothétique obtention du certificat d’études (c’est-à-dire jusqu’à l’âge de 14 ans) est révolu depuis belle lurette, je reste bouche bée, la liste à la main, perplexe mais résolue à résoudre cette énigme.

#ledétailquitue

Pour cela, point n’est besoin d’appeler l’inspection académique, de patienter des heures au téléphone le temps que l’interlocuteur informé pointe son nez, de s’entendre dire qu’il vaudrait mieux rappeler le lendemain, j’en passe et des meilleures, il suffit d’interroger Catherine, qui est née dans ce village et en connaît donc les arcanes et les secrets les mieux gardés. Celle-ci m’informe sur le cas de cet élève réticent à tout apprentissage, Michael, ainsi que sur sa famille pour le moins désorganisée en ce qui concerne l’éducation. J’apprends par la même occasion que la sœur de cet infortuné Michael est inscrite dans ma classe, en moyenne section.

Ni une ni deux, je contacte ma collègue de l’école de La Blanchonnière.

#sijauraissujauraispasvenu

La collègue de l’école voisine, Isabelle, se montre elle aussi interloquée, et d’un commun accord, l’enfant concerné se retrouve promu au rang d’élève de CM1, advienne que pourra. Exit Michael. Enfin, pas tout à fait, puisqu’à cet instant Catherine me désigne d’un clin d’œil un visage d’enfant, le nez aplati contre la fenêtre de la classe.

#quandonparleduloup

J’aime les enfants. Normal, me direz-vous. J’ai également un penchant pour les élèves différents, les bizarres, les drôles de zèbres, et une grande tendresse pour ceux qui empruntent les chemins tortueux plutôt que les lignes droites bien tracées – peut-être parce qu’ils me ressemblent un peu ? C’est donc avec enthousiasme – et curiosité, il faut bien l’avouer – que je fais signe à Michael de nous rejoindre à l’intérieur. Absolument pas timide, très volubile, il propose son aide pour ranger la classe et se révèle très efficace. Je prends mon courage à deux mains pour lui annoncer qu’il fréquentera cette année l’école de La Blanchonnière. Il me répond d’un haussement d’épaules et me défie du regard en ajoutant un « de toute façon je sais pas lire ». Je passe alors les dix minutes suivantes à l’encourager à grand renfort de « il n’est jamais trop tard pour apprendre », « tu peux y arriver » et autres « tu vas voir cette année l’école ça va être super ». Tant et si bien qu’il prend quasiment ses jambes à son cou pour échapper à mon laïus. Bref, je lui casse les pieds.

#diplomatieturepasseras

Cet article a 2 commentaires

  1. Sandrine

    Excellent la Blanchonniere 🤣…
    Vite vite on veut la suite 😘

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